On comprend à la lecture que le récit tourne autour de la vie d'une handicapée, frappée par une maladie dégénérative, l'ataxie de Friedreich. Le narrateur, qui enseigne au collégial, a rencontré Audrey-Ann dans une de ses classes et s'est lié d'amitié avec elle. C'est le récit de cette amitié, basée sur l'entraide, la compassion et surtout la compréhension, qui nous est livrée dans ce roman.
Mais ce qui retient surtout l'attention, c'est la forme du récit, très postmoderne, ce qui est souvent le cas des ouvrages publiés au Quartanier. Le texte mélange les niveaux chronologiques. Les protagonistes enregistre leur lecture du récit initial, et les commentaires de cette lecture se superposent à ceux qui apparaissent déjà dans l'enregistrement, ce qui pourrait causer une certaine confusion chez le lecteur moins attentif. Cela est surtout visible dans les premières pages du livre, quand l'auteur essaie de rendre compte des hésitations dans l'élocution d'Audrey-Ann et de son incapacité parfois à bien comprendre ce qu'elle dit. Cela se traduit graphiquement par des ratures ou l'utilisation de certains symboles qui pourraient agacer certains lecteurs, puisque ce code ne sera expliqué que plus loin dans le livre. Mais ce procédé reste occasionnel dans le texte et ne gêne pas la lecture outre-mesure.
Le récit mélange aussi les genres. Si l'essentiel du livre relève du témoignage proche de l'autobiographie, des moments précieux de cette amitié sont racontés de façon très touchante, très humaine, il y a aussi une partie importante qui s'approche plus de l'essai. Le narrateur nous transmet les résultats de ses lectures théoriques et de sa réflexion sur la place que les handicapés occupent dans notre société et la vision que les "normaux" peuvent en avoir.
Cette réflexion sur l'inclusion, très fouillée, le livre comporte d'ailleurs en annexe une bibliographie de quelques pages, amène le lecteur à se questionner sur son propre rapport à ces personnes que l'on a trop souvent tendance à juger facilement ou à exclure. Certains passages m'ont paru peut-être trop appuyées, trop théoriques, j'ai trouvé que cela alourdissait parfois le rythme. Mais ces passages révèlent le désir profond du narrateur de comprendre la réalité de son amie et prouve le sérieux de son investissement dans sa quête.
Ce qui m'a surtout intéressé dans cette oeuvre, d'un point de vue très personnel, c'est toute cette réflexion sur la maladie et la dégénérescence des corps. Tous les corps sont condamnés à dépérir, et nous devrons tous vivre avec cette perte, plus ou moins lente selon les individus, de nos facultés. De ce point de vue, le roman illustre très bien les réactions et les interrogations auxquelles nous serons éventuellement confrontés.
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