29 août 2025

Le temps des sucres - Martine Desjardins

Un petit livre qui se dévore en une soirée ou deux. Martine Desjardins démontre ici sa parfaite maîtrise des codes de la littérature fantastique et combine habilement le tout avec des éléments clés de notre folklore. 

L'histoire se passe dans une région du Québec frontalière des États-Unis, où se trouve une érablière dont le sirop d'érable possède des vertus magiques. Guillaume, citadin exemplaire, se retrouve dans ce milieu rural dans lequel il ne se reconnait pas. Pourtant, une étrange transformation s'opère en lui au contact de son grand-père et de ses oncles. Et ce sirop, au goût si particulier, aux effets si étranges...

Le vocabulaire riche et précis rendent la plume de Desjardins agréable et somptueuse, les passages qui parlent des érables et de l'acériculture notamment, sont à la fois pertinents et instructifs. 


Je m'en voudrais aussi de ne pas signaler l'humour de certains passages notamment dans la description du caractère douillet de Guillaume, "La paix de son sommeil requiet un matelas thérapeutique et un oreiller en duvet", ainsi que le savoureux passage où le personnage goûte et déguste pour la première un testicule d'ours (page 116)

C'est une autrice que je vous invite aussi à découvrir dans La chambre verte (2016) et Maleficium (2009), deux autres de ses romans tout aussi fantastiques que j'ai adorés. Et je réalise que son Méduse, paru en 2020, est passé sous mon radar ; il faudra que je corrige cet oubli éventuellement, c'est une autrice que j'ai chaque fois beaucoup de plaisir à lire.



Le temps des sucres - Martine Desjardins - Alto - 2025 - 145 pages

26 août 2025

Voyage à la villa du jardin secret - J.P. Chabot (avec l'aide d'Audrey-Ann Bélanger) - Le Quartanier

 


Ce qui m'a d'abord frappé dans ce livre, c'est cette mention sur la page couverture, qui précise que le livre a été écrit "avec l'aide de Audrey-Ann Bélanger". Pourquoi avec l'aide, et pas en collaboration ? Pourquoi ne pas simplement avoir mentionné les deux auteurs ? 

On comprend à la lecture que le récit tourne autour de la vie d'une handicapée, frappée par une maladie dégénérative, l'ataxie de Friedreich. Le narrateur, qui enseigne au collégial, a rencontré Audrey-Ann dans une de ses classes et s'est lié d'amitié avec elle. C'est le récit de cette amitié, basée sur l'entraide, la compassion et surtout la compréhension, qui nous est livrée dans ce roman.

Mais ce qui retient surtout l'attention, c'est la forme du récit, très postmoderne, ce qui est souvent le cas des ouvrages publiés au Quartanier. Le texte mélange les niveaux chronologiques. Les protagonistes enregistre leur lecture du récit initial, et les commentaires de cette lecture se superposent à ceux qui apparaissent déjà dans l'enregistrement, ce qui pourrait causer une certaine confusion chez le lecteur moins attentif. Cela est surtout visible dans les premières pages du livre, quand l'auteur essaie de rendre compte des hésitations dans l'élocution d'Audrey-Ann et de son incapacité parfois à bien comprendre ce qu'elle dit. Cela se traduit graphiquement par des ratures ou l'utilisation de certains symboles qui pourraient agacer certains lecteurs, puisque ce code ne sera expliqué que plus loin dans le livre. Mais ce procédé reste occasionnel dans le texte et ne gêne pas la lecture outre-mesure.

Le récit mélange aussi les genres. Si l'essentiel du livre relève du témoignage proche de l'autobiographie, des moments précieux de cette amitié sont racontés de façon très touchante, très humaine, il y a aussi une partie importante qui s'approche plus de l'essai. Le narrateur nous transmet les résultats de ses lectures théoriques et de sa réflexion sur la place que les handicapés occupent dans notre société et la vision que les "normaux" peuvent en avoir. 

Cette réflexion sur l'inclusion, très fouillée, le livre comporte d'ailleurs en annexe une bibliographie de quelques pages, amène le lecteur à se questionner sur son propre rapport à ces personnes que l'on a trop souvent tendance à juger facilement ou à exclure. Certains passages m'ont paru peut-être trop appuyées, trop théoriques, j'ai trouvé que cela alourdissait parfois le rythme. Mais ces passages révèlent le désir profond du narrateur de comprendre la réalité de son amie et prouve le sérieux de son investissement dans sa quête.

Ce qui m'a surtout intéressé dans cette oeuvre, d'un point de vue très personnel, c'est toute cette réflexion sur la maladie et la dégénérescence des corps. Tous les corps sont condamnés à dépérir, et nous devrons tous vivre avec cette perte, plus ou moins lente selon les individus, de nos facultés. De ce point de vue, le roman illustre très bien les réactions et les interrogations auxquelles nous serons éventuellement confrontés.

Voyage à la villa du jardin secret - J.P. Chabot (avec l'aide d'Audrey-Ann Bélanger) - Le Quartanier - 2024 - 402 pages

16 août 2025

La beauté de Cléopâtre - Mustapha Fahmi



C'est toujours un plaisir pour moi de lire la plume de Mustapha Fahmi.

Ses trois livres sont de petits bijoux de réflexion qui s'articulent autour de pièces de l'oeuvre de Shakespeare, dont l'intellectuel est un fin connaisseur. Ses livres sont toujours composés de courts chapitres qui, aboutés les uns aux autres, finissent par tisser le fil d'une réflexion savamment construite. Un découpage qui nous permet de ralentir, de prendre des pauses fréquentes, pour bien réfléchir aux idées qui sont exposées.
À travers les commentaires du professeur de l'UQAC sur la pièce Antoine et Cléopâtre, le propos dérive sur des thèmes comme l'authenticité, l'honneur, l'éthique ou la beauté. Malgré des références philosophiques et littéraires très pointues (les romantiques allemands et anglais, Davie Hume, Nietzsche et Kant entre autres), le propos reste facilement accessible et le texte nous guide habilement dans l'élaboration de la pensée de l'auteur.
En plus d'un condensé de l'histoire romaine, notamment le conflit qui oppose Marc-Antoine et Octave, le fils de César, des références culturelles variées et bien dosées (Boticelli, Titien, Zaha Hadid, Frank Gehry, Miles Davis, Beethoven, Wittgenstein...) appuient habilement la démonstration et on sort de notre lecture avec l'impression d'être un peu plus allumé, sinon un peu plus intelligent.
Un bijou de petit livre, que j'aurai plaisir à revenir feuilleter de temps à autre, pour y puiser quelques phrases au hasard avec plaisir comme celle ci-dessous.


Les deux précédents livres de Fahmi, La leçon de Rosalinde (2018) et La promesse de Juliette (2021), parus aussi chez La peuplade, m'avaient aussi beaucoup plu.



2 août 2025

La Méduse - Boum - Pow Pow


Encensé par la critique et déjà récompensé par plusieurs prix (Prix des libraires 2024, Grand Prix Québec BD Bédéis causa 2023 et Prix BD des collégiens 2024 entre autres), ce roman graphique m'a vraiment charmé.

L'histoire d'Odette est touchante. On assiste, en l'espace de quatre saisons, à l'évolution des troubles visuels dont souffre la jeune libraire. Le récit simple présente habilement les effets de la progression physique et psychologique de la cécité, réalité dont on entend peu souvent parler. 

Le traitement se révèle aussi profondément original. Les dessins sont clairs et précis et rappellent un peu le style des mangas. Le découpage et le cadrage sont variés, l'autrice maîtrise bien les différentes techniques (gros plan, champ-contre-champ) pour rendre plus dynamique son récit. L'oeuvre, imprimée en noir et blanc, exploite bien les dégradés et les jeux d'ombre et de lumière. Tout cela crée une impression d'intimité qui nous rapproche du drame vécu par le personnage principal et illustre bien toute la gamme d'émotions qu'elle traverse.

Et cette fameuse méduse, cette tache noire qui pollue chaque case et se multiplie au fil des planches... cette présence envahissante nous permet de bien saisir l'intensité et la persistance du problème qui affecte l'humeur d'Odette et va changer sa vie.

Vraiment, une superbe lecture.


La méduse - Boum - Pow Pow - 2022 - 228 pages

 

Prix Goncourt 2025